Ces poèmes s’inscrivent dès le début sous le signe du paradoxe : ainsi « On n’oublie rien de ce qui n’a pas été. », de ces instants à venir et dont nous ne serons pas les témoins.
Au cours de ce périple poétique, divers thèmes affleurent : la présence de la mémoire, celle de l’oubli, tous deux s’incarnant dans le temps passé, présent ou avenir. Il s’agit donc d’un voyage que les mots dessinent et dont le poète est le témoin involontaire.
Durant cette entreprise, des visages, des lieux surgissent ça et là et les mots sont présents afin de ratifier ce voyage. Toutefois dans cette quête du passé, dans la confiance que l’on peut entretenir envers la mémoire, c’est bien un long voyage que le poète entreprend, un voyage vers des lieux connus ou inventés, un voyage qui permet à la mémoire d’engranger images, souvenirs, visages parfois absents ou disparus. Pourtant dans un même mouvement l’absence est refusée pour permettre à l’espoir de se maintenir en dépit des infortunes que réserve la vie à celui qui la poursuit : « sous la neige s’impatientent les fleurs », une impatience qui fait surgir le désir de ne pas céder au désespoir, de faire confiance à la vie, la nôtre ou celle de la nature.
À la lecture de ces poèmes, en suivant ce chemin de mots « on appelle l’inconnu/d’un nom familier », peut-être pour l’aborder avec moins d’hésitation, de crainte pour conjurer l’absence et ne pas renoncer à l’espoir toujours nommé dans cet itinéraire. Pourtant même si le mot fin se dessine il y a dans ce voyage temporel et dénué de toute précision géographique le refus de cette fin grâce à la présence des mots, leur vitalité, nous préservant de toute absence définitive. Telle est peut-être la raison de recourir à l’écriture, témoin d’un passage, révélatrice de la fragilité humaine mais toujours présente quand on la sollicite pour revendiquer un passage, un espoir jamais abandonné.
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Voici une note de lecture de Michel LAMART publiée dans le n°1140 de la revue EUROPE (avril 2024).
Que sont ces « autres lieux » auxquels le titre du dernier recueil de Max Alhau fait allusion, avec cette aura de mystère qui caractérise si bien son écriture ? « N'auras-tu écrit que pour traquer des fantômes ? » s'interroge le poète. Cette question essentielle se décline en trois parties (Le temps de la mémoire, Paysages-Rencontres, L'absence et l'infini) sans en dévoiler le secret ni en éclairer précisément le sens. On devine qu'il s'agit d'un « ailleurs » proche: « Tu habites en face d'un monde dont tu sais l'inconnu et ce qui t'attend peut-être. » Cet « inconnu », qui hante les derniers recueils, devient une destination ultime qui ne sera pas nommée parce que « Rien ne nous appartient:/seul le regard s'approprie le monde. »
La réflexion sur l'écoulement du temps se fait ici plus insistante, plus métaphysique que d'habitude : « Que dire du présent ?» ou bien « Tu tiens tête à l'avenir/résumé dans un souffle,/dans un éclair soudain. » Si bien que le recours à la mémoire s'avère un leurre pour saisir l'essentiel : les fêtes sont consommées, il vaut mieux « s'inventer/des horizons sans nom,/des espoirs à portée de rêves. » C'est ce que le poète appelle « un avenir », « un temps sans futur. »
Au terme d'un long voyage, les questions essentielles demeurent : « Quelle frontière/entre l'amour/et son absence ?/entre un visage/et son reflet ? » Mieux vaut continuer de chercher « la raison d'exister », « la source/qui jamais ne tarit. » Bref ! chercher : tel est le but, lequel ne se préoccupe pas de trouver. La vie bouge. Nous émeut. Nous meut.
Dès lors, l'écriture apparaît comme une consolation : « Dire cela pour éviter la douleur » et, donc, ne pas renoncer « à faire fructifier [...] les mots. » Consentir, même, à passer le relais. Et, si « Le récit reste sans suite », il faut le reprendre, de telle sorte que la fin n'ait pas le dernier mot. La voix du poète doit perdurer hors du temps. Seule façon pour que le lecteur en assure l'éternité – « ou peu s'en faut. » Humour ? Désespoir ? Non ! Au contraire : ainsi, « Tout demeure présent », « Rien n'a été effacé :/ce n'est que transparence ».
Un livre grave, quasi testamentaire, sans résignation : celui de la condition humaine soumise à la finitude. Une invitation à « entretenir la fiction » dont le poète est « l'auteur involontaire » : tel est le projet de ce livre qui résume bien les préoccupations majeures du travail de Max Alhau. La création littéraire est collective. Le Umberto Eco de L’œuvre ouverte n'est pas loin : « l’œuvre est intentionnellement ouverte à la libre réaction du lecteur. Une œuvre qui « suggère » se réalise en se chargeant chaque fois de l'apport émotif et imaginatif de l'interprète. Si toute lecture poétique suppose qu'un monde personnel tend à coïncider fidèlement avec celui du texte, un texte fondé sur le pouvoir de suggestion vise, lui, directement le monde intérieur du lecteur afin qu'en surgissent des réponses neuves, imprévisibles, des résonances mystérieuses. » (Seuil, coll. Points Essais, 1979, p.22). C'est l’œuvre en mouvement mallarméenne : « Un livre ne commence ni ne finit ; tout au plus fait-il semblant. » C'est là l'unique legs du poète. Son secret. La vie est multiple mais le scénario demeure inchangé : « la même histoire se renouvellera en d'autres lieux dont nous n'aurons jamais raison. » (nous soulignons). Rien ne nous appartient mais on ne perd rien : « Les destins se confondent/mêlant chaque histoire/à des légendes préservées par le temps. »
Reste une question non réglée : « Comment nommer ce qui résiste ? » Certes, c'est la fonction du poète ! Mais est-ce possible quand « nous ne nommons que l'impossible » ? Résiste-t-on au temps ?
Une invitation à l'humilité, seule signature possible du poète.
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Une note de lecture Philippe LEUCKX sur le site de La cause littéraire :
http://www.lacauselitteraire.fr/en-d-autres-lieux-max-alhau-par-philippe-leuckx
Une autre note de Gérard BOCHOLIER dans le numéro 1533 de la revue ARPA (février 2024).
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• Format : 15 x 21 cm
• Pages : 72
• Parution : octobre 2023
• ISBN : 978-2-35128-208-3
11.00 €