Lamart Michel

La confession de Yorick

Les "Vanités" mettent en jeu la mort. Autant de cartes tirées du Tarot sur l’échiquier du hasard. Rappel à l’ordre. Avertissement. Le tableau est un piège du regard. L’autoportrait-revolver vise la tête : le crâne crâne. Que d’os ! Que d’os ! Ce clin d’œil vide l’orbite. "Vanitas vanitatum".

Que faire d’un crâne reçu anonymement par la poste ? 

Un compagnon d’infortune ? 

Un confident ? 

Un complice ? 

Plutôt l’occasion de regarder les choses en face. 

Artaud : « Le visage humain porte en effet une espèce / de mort perpétuelle/sur son visage. » D’où la tentation d’effacer la grimace. Écrire pour disparaître. De Jean de Sponde à Maurice Roche, on s’y emploie encore… 

Rire de la mort, avec la mort, ne dispense pas d’envisager la sienne avec l’amertume d’un ricanement. Ultime plaisanterie. 

C’est peut-être le jaune qui domine ici. Mais, dans ce nuancier métaphysique, rassurons-nous, nous en verrons de toutes les couleurs. Car la candeur du crâne est trompeuse. C’est là son moindre défaut. Ivoire poli du temps, le crâne n’a pas que des idées noires…

Attention cependant : « La mort se niche dans l’inarticulé du langage » !

Méfions-nous des bègues !

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En recevant la tête de mort dans sa boîte en carton expédiée par la Poste, en Colissimo, j’aurais voulu mettre un peu de chair autour. À celle fin de savoir à qui appartenait ce grimaçant sourire d’outre-tombe. Mais on ne retouche pas la mort sans modèle. Et puis le temps passe et l’on pense à autre chose. 

On préfère ensuite en rire. 

Précisément parce que le rire efface la grimace. 

Il est toujours temps d’admettre que tout se réduit, in fine, à une grimace.

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Sabine Dewulf : « le crâne, dans ces pages, est voué à la métamorphose ; il revêt toutes sortes de fonctions et de métaphores qui permettent à la parole de danser autour de lui, de le célébrer sans jamais le rejoindre : du « presse-papiers » au « coquillage » en passant par la « boîte à musique », la « tirelire » ou encore la « marotte ».

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Daniel Leuwers : « Michel Lamart, épaulé par Maria Desmée, a réussi un tour de force, et les éditions Voix d’encre s’imposent, une fois de plus, comme les meilleures alliées de l’osmose entre l’écriture et la peinture ».

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Voici un article de Christian TRAVAUX (paru sur le site de POESIBAO).


Un jour, sans trop savoir pourquoi, on reçoit en Colissimo, par la poste, un crâne humain. Un crâne avec son crâne chauve, ses orbites creuses, son sourire. On ne sait d’où vient cet envoi. Et, pourtant, il se trouve là, désormais, ineffaçable. Il faudra, alors, faire avec. C’est sur cet étrange scénario, cette histoire improbable et folle, que repose le nouveau livre, La Confession de Yorick, de Michel Lamart. Mauvaise blague à l’humour potache ? Récit macabre sur l’existence ? Méditation philosophique sur la mort, sur la finitude ? Ou bien vanité littéraire à la mode du dix-septième siècle ? Le livre de Michel Lamart est cela, et bien autre chose, tant il est régal pour l’esprit, amusement renouvelé, réflexion baroque et burlesque. Et étonnement à chaque pas. À chaque page. 

100 poèmes. Une totalité. Des textes d’une demi-page, quatre lignes ou vers quelquefois, ou d’une page, une page et demie, jusqu’à deux pages, qui se succèdent, sans se ressembler jamais, et sans jamais vouloir rentrer dans quelque genre que ce soit, bien défini. Un tout divers. Narratif, majoritairement, racontant l’arrivée d’un crâne, par la poste, puis les différents emplois qu’on cherche à lui donner : presse-papiers, pot de fleurs, bougeoir, cendrier, ou pot à tabac. Ou tirelire. Boîte à idées, dans tous les cas, tant ce livre-là n’en manque pas pour essayer d’insérer dans une vie humaine cette chose qui dit l’au-delà, qui dit la mort, et qu’on ne sait pourtant nommer. C’est cela qui frappe dès l’abord dans La Confession de Yorick. Un crâne n’est pas une chose comme une autre, n’est pas même une chose. Qu’est-ce que c’est, alors, si ce n’est pas, ou plus, non plus un être humain ? Quel abîme ouvre-t-il, un crâne, devant nos yeux effarés ? Quel insondable entre-deux de la vie à la mort, de l’autre monde à notre monde de vivants, laisse-t-il entrevoir ? Quelle étrangeté ?

Pour tenter de l’apprivoiser et comprendre ce qui sera nous, le « je » qui parle dans ces textes tourne autour de cette chose énigmatique, qui n’est pas chose, de cet être, qui n’est plus être, de cette tête qui lui tient tête, ou qui se paye sa tête, riant toujours. Il lui parle. Il l’interroge. Il la questionne et la regarde, et essaie régulièrement de lui tirer les vers du nez. Bien en vain. Son crâne sonne creux, et se mure dans le silence, du moins lui renvoie le silence d’espaces infinis qui l’effraient. Alors, il l’emmène en voyage dans un carton à chapeau. Il le lave, ou il dort avec, en lui chantant des chansons douces. Il l’invite au restaurant, le présente à ses étudiants, le met au bord d’une fenêtre pour qu’il prenne l’air, ou la pluie, et fasse une tempête sur un crâne. Il le traite, en bref, comme l’on ferait d’une personne, d’un être vivant. Il va même jusqu’à lui prêter ses lunettes, lui lire le journal, lui écrire une lettre d’amour. Sauf qu’il s’agit d’un crâne humain.

À partir de ce postulat, tout prend une saveur étrange, ou un ton aigre. Tout grince. Tout se trouve décalé. On ne fait pas à un crâne humain ce qu’on ferait à un humain, parce que c’est la mort qu’on transporte dans ses bagages, la mort qu’on lave, et qu’on berce, et à qui on prête des lunettes ou une perruque. La mort, qu’on installe en trophée sur son poste de télévision, faisant de la mort un objet qu’on acclimate dans l’existence des vivants pour les faire penser, et douter, et vaciller. Qu’est-ce donc que cette mort qui m’attend ? Quel est ce vide obstinément, obstinément ce silence, que je vois, que j’entends plutôt si présent dans ce crâne creux ? Et quel visage avait ce crâne, quelle vie, quel sexe, quelle âme ? Quelle était son identité ? Quels furent ses rêves ? À n’en pas douter, ces questions se poseront quand on trouvera dans quelques millions d’années mon crâne, ou le vôtre, peut-être.

Si Michel Lamart les écrit, ces questions, c’est évidemment moins pour apprivoiser la mort, sa mort ou notre mort, que pour mieux s’en amuser. Rien n’est vraiment sérieux ici, et cependant tout est sérieux constamment. Tout est dit avec le sérieux imperturbable d’un individu qui reçoit, estomaqué, un crâne humain, et qui ne sait pas quoi en faire. Et tout cela bouleverse sa vie étriquée, bien sage, et réglée. Michel Lamart s’autorise tout, des jeux de mots les plus douteux, aux calembours, à l’humour noir, au registre héroï-comique, jusqu’au détournement critique, volontaire et systématique, des clichés, des stéréotypes les plus tenaces, les plus ancrés dans la pensée ordinaire. Son crâne est, alors, un crâneur, ou la tête de sa belle-mère. Avec une telle tête de pioche, on peut très bien ne plus savoir vraiment où donner de la tête, perdre la tête à lui tenir tête, jusqu’à en avoir mal au crâne. Chauve qui peut !, écrit Lamart, si cet écouteur connecté à l’au-delà – comme il l’appelle – se nomme naturellement Toto (0 + 0 = la tête à Toto, rappelle Lamart, contemplant ses orbites creuses). Il n’y a là pas de quoi crâner, tant est chauve cette boîte d’os, cette douille d’obus. 

On le voit, c’est une fantaisie verbale qui parcourt tous ces textes, un constant détournement des clichés, des pensées toutes faites du langage dans la langue elle-même. Pourquoi, à quoi bon tout cela, sinon pour conjurer la mort qui arrive toujours assez vite, toujours trop tôt, et qui ne nous ratera pas. C’est certain. Il faut le prévoir, et bel et bien s’y résigner. Autant la vie ne sert à rien, ou bien plutôt ne sert jamais qu’à dompter ce compte à rebours qui nous fait mourir à chaque heure, à chaque minute. Autant la mort est là présente, et nous guette, et attend son heure, continûment, sous chaque chose, derrière chaque instant de nos vies. La leçon de Michel Lamart est bien celle d’un homme qui vieillit, et qui s’effare de ce qu’il vieillit. Elle est aussi celle d’un poète qui cherche et qui trouve dans la langue des raisons de survivre un peu, des solutions pour surnager à ce naufrage qui nous attend, à cet anéantissement. 

Alors, autant dresser, maintenant que nous le pouvons encore, ce portrait du poète en crâne, ou cet autoportrait d’un homme qui sait qu’il lui faudra mourir, et qui préfère s’en amuser. La loufoquerie est seule réponse à opposer à la mort. Elle est notre seule solution, le seul mince espoir qui nous reste. Et le crâne de la mort peut bien toujours nous faire les gros yeux, tenter de nous tirer la langue, ou élever un sourcil rageur. Il n’en restera qu’un silence, qu’un long silence (« mon crâne n’est pas contrariant », écrit Lamart, qui sait « pouvoir compter sur son entière discrétion », « il sera muet comme une tombe », ajoute-t-il). Et qu’un crâne tout lisse et tout blanc, qui n’a pas même frémi d’un cil. Ou d’un orteil. La mort peut toujours nous fixer. De derrière le vide de ses yeux, elle ne nous verra jamais rire, constamment rire, de cette peur qu’elle nous inspire. 

Yorick pourra toujours sourire. Hamlet aura le dernier mot.


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Informations

• Artiste : Maria Desmée, une quinzaine de monotypes

• Format 15 x 21 cm

• 134 pages

• Parution octobre 2023

• ISBN 978-2-35128-210-6


Auteur

Lamart Michel - Wikipédia

Illustrateur

Desmée Maria

Prix

20.00 €


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